Attention : je suis amené à dévoiler dans les commentaires qui suivent une partie de l'intrigue. Lecture très vivement déconseillée à ceux qui souhaitent découvrir les ouvrages de Stanislas Lem ! La liste synthétique (qui ne dévoile pas les histoires) se trouve ici : Liste synthétique
Rencontres avec d'autres mondes : un thème au cœur de l'oeuvre de Stanislas Lem. Faut-il préciser que ces rencontres n'ont rien à voir avec ce qui nous est proposé depuis des lustres par la science-fiction classique ? pas de space opéra ici, pas de recettes épuisées. Il ne reste que l'homme confronté à l'inexpliquable. Le plus remarquable reste que Lem parvient à nous faire toucher l'indicible de la situation.
Avec ce premier roman de Lem,
publié en France sous le titre (malheureux) "Feu
Vénus", Lem pose les idées de base qu'il
développera dans son oeuvre à venir.
Les thèmes abordés dans Les Astronautes (le
contact avec une autre intelligence, l'exploration de l'astre
mystérieux avec l'astronaute isolé dans un monde
à jamais incompréhensible) se mêlent
assez curieusement à des considérations
politiques transparentes. Ecrit en pleine guerre froide, ce roman
présente les théories inverses des poncifs
habituels de la guerre froide vue par les occidentaux. Mars (la
planète rouge !) est l'ennemie habituelle ? Ici ce sera
Vénus, planète des plaisirs. Les
Vénusiens ont-ils voulu frapper le sol russe - aujourd'hui
soviétique ? Les Terriens ont du répondant.
L'équipage a ses héros : des Russes, un Indien ;
on remarque un certain Smith voué aux utilités.
Les premières pages sont d'un très vif
intérêt. Lem rappelle la mystérieuse
explosion en Sibérie, en 1908, et fait le tour des
différentes théories qui ont depuis
été émises. Le roman prend comme
postulat que c'est un vaisseau vénusien qui se serait
écrasé dans la Tougounska. Les hommes vont donc
explorer Vénus, à la recherche de la civilisation à l'origine de ce vaisseau.
En lisant ce livre on ne peut que remarquer à quel point
l'évolution des technologies spatiales dans les
années 1960 a bouleversé la façon de
concevoir les voyages intersidéraux. Le vaisseau
décrit par Lem fait irrésistiblement penser
à la fusée du professeur Tournesol, ne serait-ce
que par son mode de propulsion atomique. Une imagerie de "vaisseau
amiral" qui ne survivra pas au tournant de la
décennie.
Le second roman de l'auteur.
Il y a très longtemps, j'ai lu avec passion la Planète des singes,
de Pierre Boulle. Dans ce roman (bien plus fin et intéressant
que les films qui ont popularisé l'histoire), le héros
humain réussit à communiquer avec une chimpanzée
intelligente à l'aide de formules mahématiques. Ce
personnage dit avoir lu l'idée de ce genre de communication
entre espèces différentes dans ses lectures
d'anticipation.
Je me suis souvent demandé si Pierre Boulle avait en tête
un roman précis en écrivant cela. Peut-être est-ce Eden
de Lem ? Les bases d'un vocabulaire entre "supra-intelligences" sont
ici construites à partir de concepts mathématiques de
plus en plus complexes. Un extra-terrestre et les humains
réussissent à communiquer à partir de ce
vocabulaire, traduit en double sens par un ordinateur.
Des pages captivantes pour un
sens narratif déjà unique.
Une épopée stellaire époustouflante.
L'invincible : l'homme conquérant, d'une puissance inimaginable, rationnel et méthodique. Roman construit autour d'un mystère dont jamais on n'aura l'explication : faute de mieux, il faudra se contenter d'hypothèses... amené comme une oeuvre musicale où les conjectures forment des thèmes, évoluent discrètement, disparaissent, se métamorphosent pour reprendre le devant de la scène et s'imposer comme seule possibilité, ce roman aborde quelques thèmes chers à Lem. L'intelligence éparpillée, ultime et invincible d'une évolution technologique ; la toute-puissance inutile ; l'individu isolé et son parcours qui est aussi une quête intérieure, tout aussi profonde et frustrante que les mystères environnants. L'homme n'a pas le beau rôle : pétri de certitudes, de raison, il ne peut appréhender autrement qu'en la détruisant une réalité qui le dépasse. Les astronautes victimes du nuage deviennent identiques à des nouveaux-nés, mais ces nouveaux-nés sont exactement à l'opposé de la renaissance ultime de 2001, odyssée de l'espace. Bien au contraire : le fiasco est non seulement patent mais inévitable : la condition humaine n'est certes pas une prison d'où l'on peut s'évader, fussions-nous munis d'une technologie formidable. Ce roman mérite beaucoup plus que sa publication dans une collection de science-fiction aux couvertures hideuses. Nous sommes, une nouvelle fois, à des distances insoupçonnées des romans de science fiction habituels, du space opéra et de ses pénibles recettes. Ce récit d'aventures, d'exploration, de batailles cyclopéennes, de démesure et de sagesse, s'épanouissant en une surprenante allégorie poétique, nous ouvre par sa philosophie bien des portes - jamais refermées - vers des mondes inconnus.
Le plus célèbre des romans de Lem. Envoûtant mais peut-être trop connu.